Quels enseignements tirer du rapport annuel de l'ANJ ?

octobre 2021

 

L’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) a publié à l’été 2021 un rapport pour présenter son activité annuelle depuis juin 2020. Son objectif est de présenter un bilan à la fois du marché des jeux en ligne, de son activité, des évolutions juridiques, mais également de ses objectifs pour les prochaines années.

 

C’est le premier bilan de l’ANJ après sa création pour remplacer la défunte ARJEL. 

 

Quel impact du Covid-19 sur le marché des jeux en ligne ?

 

Le marché des jeux en ligne fait partie des secteurs sur lesquels l’impact du Covid-19 a été positif. Le chiffre d’affaires du secteur, les mises engagées ainsi que le nombre de joueurs atteignent des niveaux records depuis l’ouverture à la concurrence en 2010.

 

En 2020, le chiffre d’affaires du secteur atteint 1,7 milliards d’euros (+22% par rapport à l’année 2019), les mises totales sont de 5,3 milliards d’euros (+6%) et le nombre de parieurs sportifs en ligne atteint 3,8 millions de personnes (+12%).

Ce n’est évidemment pas le cas pour les paris sportifs en physique pour les raisons que nous connaissons tous. La Française des Jeux (FDJ) a annoncé une baisse de ses mises enregistrées (en ligne et en point de vente) de 10% sur l’année.

 

L’année 2020 a également vu apparaitre un changement fiscal pour les opérateurs de jeux. Ces opérateurs étaient, jusqu’au 1er janvier 2020, taxés sur les mises des joueurs (que ces mises soient gagnantes ou perdantes). L’assiette fiscale a changé puisque dorénavant les opérateurs sont taxés sur le Produit Brut des Jeux.

 

Les joueurs bénéficient-ils des réformes légales de 2019 et 2020 ?

 

L’ANJ a lancé une vaste offensive sur la publicité des bookmakers. Celle-ci n’est pas encore totalement entrée en vigueur mais des outils commencent à être développés pour être mis à disposition du régulateur.

 

De nouvelles règles ont été édictées concernant les publicités des bookmakers. Il est désormais interdit de :

  • Banaliser ou valoriser les pratiques de jeu.
  • Inciter à une pratique de jeu excessive.
  • Suggérer que jouer contribue à la réussite sociale.
  • Faire croire que le jeu peut être une source de revenus fiables remplaçant les revenus du travail.

Les différentes publicités de l’année 2021 montrent que ces règles ne sont pas encore respectées par les bookmakers. Il sera intéressant d’observer l’évolution de la situation au cours de l’année 2022.

 

Une nouvelle obligation fiscale a été créée auprès des opérateurs. Ils sont désormais tenus de consacrer 0,002% des mises qu’ils reçoivent au financement d’études menées par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT) sur le thème des jeux et de l’addiction.

Appliqué aux 5,3 milliards d’euros de mises de 2020, ce pourcentage représente 106 000 euros.

 

Le changement majeur de l’année concerne la décision du Conseil d’État du 24 mars 2021. Ce-dernier a statué que le droit de la consommation s’appliquait aux paris sportifs.

 

Le plus gros impact concerne les limitations de mises dont sont victimes les joueurs gagnants. Cette pratique serait une pratique commerciale déloyale pouvant être dénoncée et retournée.

 

Tout comme l’impact des décisions de l’ANJ sur les publicités des bookmakers, les joueurs ne savent pas encore si cette décision du Conseil d’État sera appliquée dans les faits ou pas. Pour l’instant, les joueurs gagnants restent limités en France et sont pour la plupart indésirables.

 

De nouveaux opérateurs sont-ils arrivés sur le marché ?

 

L’ANJ vérifie la conformité des opérateurs de jeux grâce aux agréments. Un agrément est valable pour une durée de cinq ans. Il est incessible et valable uniquement pour une catégorie des jeux d’argent (paris sportifs, jeux de cercle, paris hippiques). 

Sur la période été 2020 – été 2021, 19 agréments ont été donnés ou renouvelés par l’ANJ. Ils concernent 10 opérateurs.

 

Trois nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché mais deux ont repris des activités déjà existantes :

  • Le premier est la société NJJ Project Thirteen qui reprend les activités de GenyBet. Ce nouvel acteur marque l’entrée de l’homme d’affaires Xavier Niel sur le marché des paris sportifs.
  • Le deuxième est la société Feeling Publishing reprenant les activités de Feelingbet.
  • Le troisième acteur n’est autre que le site Betway. Ce-dernier existe déjà à l’étranger et vient d’obtenir un agrément pour le marché français. Il est détenu par la société GM Gaming Limited basée à Malte.

 

À l’été 2021, ce sont donc 28 agréments présents sur le marché des jeux français. 15 concernent les paris sportifs, 7 les paris hippiques et 6 concernent le poker.

 

L’ANJ travaille également à fixer un plancher technique pour les différents opérateurs. Leurs systèmes d’informations doivent être sécurisés, leurs logiciels homologués, les données classées, le fichier des interdits de jeux effectif.

 

Le joueur dispose-t-il d’un interlocuteur institutionnel face aux opérateurs ?

 

L’autorité veut également se positionner comme un interlocuteur privilégié des joueurs. Chacun jugera de l’efficacité avec laquelle cette mission est remplie.

 

Une boite mail a été mise en place pour faire remonter les soucis des joueurs : contact@anj.fr. Tous les joueurs victimes de limitations, de gains non payés, de pratiques déloyales de la part des bookmakers peuvent faire remonter leurs doléances sur ce mail. Toute question d’ordre générale peut également être envoyée.

 

Le médiateur des jeux est le deuxième interlocuteur des joueurs. Instauré en septembre 2019, son rôle est de rapprocher les points de vue de l’opérateur et du joueur dans le cas d’un différent. Son avis n’étant que consultatif, il n’oblige en rien un bookmaker à respecter ses obligations légales. Les joueurs peuvent cependant le contacter sur www.mediateurdesjeuxenligne.fr.

 

Quelques statistiques sur le médiateur :

  • 1 420 demandes reçues entre septembre 2019 et fin 2020.
  • 54% des demandes ont été jugées irrecevables. Dans 80% des cas cette irrecevabilité est due à l’absence de réclamation écrite préalable à l’opérateur.
  • 530 dossiers ont été clôturés.
  • Le délai de traitement est en moyenne de 62 jours, donc de 2 mois.

 

Quel bilan concernant le jeu excessif et l’addiction ?

 

Une autre grande mission a été de fluidifier le parcours du fichier des interdits de jeux. Il est désormais possible de faire l’intégralité de la démarche en ligne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette interdiction est valable pour 3 ans. Passé ce délai, le joueur peut demander sa levée. Sans demande, l’interdiction reste valable.

Cette interdiction est une excellente solution pour les joueurs incapables de contrôler leurs pulsions de jeux. Les démarches peuvent se faire directement sur https://anj.fr/ts/demande-interdiction.

 

Quelques chiffres sur ce fichier :

  • 39 561 personnes y sont référencées. 98% font l’objet d’une interdiction volontaire.
  • 69% sont des hommes.
  • Entre janvier 2021 et avril 2021, 1 353 personnes ont fait une demande d’interdiction de jeux.

 

Lors des confinements, l’ANJ a été particulièrement attentive aux comportements des joueurs. Elle a commandé une étude auprès d’Harris Interactive pour essayer d’évaluer l’impact de la pandémie sur les habitudes de jeu.

Il en ressort que ce sont majoritairement les nouveaux joueurs qui ont eu des problèmes. Pour la majorité des anciens joueurs, la pandémie n’a pas changé leurs habitudes : 66% d’entre eux déclarent passer autant de temps et dépenser autant d’argent qu’auparavant.

 

Cependant une population de jeunes joueurs a été recrutée pendant cette période pour des raisons de temps libre et de lutte contre l’ennui majoritairement. 13% des joueurs entre 18 et 24 ans ont découvert le jeu en 2020 et se sont tournés vers le poker et les casinos en ligne (ces-derniers étant pourtant illégaux en France).

 

Le dernier point intéressant de l’étude concerne le contrôle de son jeu. 10% des personnes interrogées affirment avoir eu du mal à contrôler leur jeu et à en garder la maîtrise. Ces profils sont des joueurs à risques.

 

Paris truqués, blanchiment d’argent, offre illégale, quelles solutions ?

 

Les opérateurs présents en France sans agrément de l’ANJ ne sont pas tenus de respecter bon nombre d’obligations. En voici quelques exemples :

  • Lutte contre le jeu excessif.
  • Interdiction de jeu des mineurs.
  • Loyauté des opérations de jeux.
  • Lutte contre les activités criminelles et frauduleuses : blanchiment d’argent, financement du terrorisme, etc.

 

Des outils existent pour permettre le blocage de site illégaux et certains en ont fait les frais en 2021 (CBet, Stake par exemple). Cependant le processus est long et coûteux : établissement d’un procès-verbal, mise en demeure de l’éditeur du site et de l’hébergeur, saisine du président du Tribunal Judiciaire de Paris, injonction aux fournisseurs d’accès Internet de bloquer le site.

Ce processus est raccourci pour les sites miroirs réapparaissant en changeant simplement leur nom de domaine.

 

Le délai moyen est de 4 à 6 mois pour bloquer un site Internet illégal. Le coût est de 450 000 euros annuels pour l’organisation. Cela représente 10% de son budget annuel.

 

67 ordonnances de blocage ont été rendues du 1er avril 2020 au 31 mars 2021.

 

Concernant la manipulation des compétitions sportives, une lutte à l’échelle européenne est menée au sein du Groupe de Copenhague. Ce-dernier est un réseau rassemblant plusieurs pays européens dans le but de repérer les matchs truqués (France, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Royaume-Uni, Pays-Bas notamment).

 

Un code couleur (jaune, orange ou rouge) a été établi pour « marquer » les rencontres jugées suspicieuses.

La notice jaune correspond à un niveau inhabituel de mises ou à une variation étonnante de cotes qui n’a pas d’explication rationnelle dans un premier temps.

La notice orange notifie plusieurs anomalies sur un pari ou une information d’une source crédible.

La notice rouge entraine une notification aux services de police grâce aux nombreux éléments entre les mains des autorités.

 

Entre les années 2016 et 2020, ce sont 588 notices qui ont été enregistrées. Seulement 61 d’entre elles ont été des notices rouges. L’année 2019 enregistre à elle seule 33% des notices (192). Ce chiffre est redescendu à 138 en 2020.

 

L’ANJ met en avant son rôle en affirmant que seulement entre 25 et 30% des notices concernent des compétitions sur lesquelles les paris sont autorisés en France. Cette affirmation part sans doute d’un constat véridique (les paris truqués sont plus présents sur des compétitions d’un niveau inférieur. Compétitions non autorisées en France) mais est à tempérer étant donné que l’offre de paris disponible est largement de moitié inférieure en France par rapport à l’étranger.

Si 50% des paris et des compétitions ne sont pas disponibles en France, il est assez logique que le nombre de notices soit au minimum divisé par deux.

 

Une plateforme a été créée pour faciliter la dénonciation de tentatives d’approche de la part d’organisations ou d’individus pour truquer les matchs : www.signalesport.fr.

 

Quels sont les objectifs de l’ANJ pour la prochaine saison ?

 

Renforcer la lutte contre l’offre illégale.

  • Accélération du processus de blocage des sites illégaux en donnant le pouvoir à la présidente de l’autorité sur le sujet.
  • Cibler les influenceurs faisant la promotion de ces jeux de casino.
  • Harmoniser la lutte internationale.
  • Informer les joueurs qui ne savent pas l’illégalité de ces jeux,
  • Dialoguer avec les plateformes de référencement pour les faire contribuer à la disparition de l’offre.

 

Entre 1,4 et 2,2 millions de joueurs sont présents sur des sites interdits en France. Ce sont majoritairement des casinos. Ce chiffre était à 500 000 en 2019.

 

Établir des règles publicitaires et promotionnelles.

 

Depuis 2019, l’ANJ travaille avec le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP).

De nouveaux pouvoir lui ont également été conférés :

  • Approuver la stratégie publicitaire des opérateurs.
  • Possibilité de suspendre une publicité.
  • Autorisation de limiter les offres commerciales.

 

Concernant la publicité, il est intéressant de faire un tour d’Europe pour observer ce qui est autorisé ou non chez nos voisins.

  • L’Italie a interdit la publicité pour les jeux sur Internet, à la télévision et à la radio.
  • Le Royaume-Uni veut interdire les publicités pendant les événements sportifs ayant lieu avant 21h.
  • L’Espagne l’autorise à la radio et à la télévision seulement entre 1h et 5h du matin.
  • L’Allemagne interdit la publicité pour le poker et les casinos en ligne entre 6h et 21h. Les publicités pour les paris sportifs sont interdites pendant et avant les événements sportifs.

 

Nous abordons le sujet de la règlementation des publicités lors de notre échange avec Loïc Chaoudour, associé de Coteur. Il est possible de lire le résumé de la discussion ou d’écouter directement le podcast sur Spotify ou Apple.

 

Accroître la coopération internationale et européenne.

 

L’objectif sera de fluidifier les échanges entre les différentes autorités en Europe, de faciliter le signalement de potentiels matchs truqués en accélérant la circulation de l’information ainsi que d’augmenter le nombre de coopérations bilatérales ou multilatérales avec d’autres pays.

 

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L’ANJ conclue son rapport sur ses ressources humaines et financières de l’année 2020. Son nombre d’employés est en constante progression et a atteint 63 personnes en 2020. Son budget était aux alentours de 9 millions d’euros en crédits de paiement.

 

L’intégralité du rapport est disponible sur le site de l’ANJ.

 

Wandrille Goubet.